La Libération du Béthunois en Septembre 1944 :
 Lecture des rapports militaires de la 7ème division blindée britannique

« Béthune, la guerre et les Britanniques » est un triptyque qui illustre bien la situation et les rencontres qui se produisirent dans notre Cité pendant les deux guerres mondiales. 

Entre 1914 et 1918, les forces du Commonwealth combattant à quelques kilomètres de là affirmèrent une proximité avec les Béthunois qui ne se démentira jamais. 

En mai 1940, lors de la Bataille de France, les forces Britanniques stationnèrent à nouveau dans le Béthunois. Elles eurent la charge de sécuriser les berges du canal d’Aire pour ralentir la progression allemande et faciliter le réembarquement des troupes à Dunkerque. Elles payèrent cher ce dévouement. Les troupes fanatisées de la SS Totenkopf exécutèrent ainsi 97 soldats du 2ème bataillon du Royal Norfolk Regiment à Paradis Lestrem le 27 mai. 

Une nouvelle fois en 1944, les forces britanniques sont de retour à Béthune, mais cette fois porteuses d’une liberté enfin retrouvée. 

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La compréhension de la libération de Béthune et ses environs peut s’effectuer à l’aune des rapports militaires des différentes unités engagées dans la région et le Béthunois début septembre 1944. Celle-ci est possible grâce à la transmission de nombreux documents par l’association des Rats du Désert basée à Thetford en Angleterre. Cette compréhension permet également de rendre hommage à tous ceux qui se sont battus contre l’oppression.

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De manière très schématique, la libération du Pas-de-Calais en Septembre 1944 se déroule selon 3 axes de progression : 

  1. L’est du département, dans un axe Bapaume-Arras- Lens, est libéré par la 8ème brigade blindée Britannique avec l’appui de la 50ème division d’infanterie Britannique.
  1. L’ouest du département et le littoral, dans un axe Hesdin-Saint-Omer, sont quant à eux libérés par la 1ère division blindée Polonaise et la 3ème division d’infanterie Canadienne, qui sera renforcée par la 2ème division d’infanterie et la 4ème division blindée Canadienne dès le 6 septembre.
  1. Au centre du département, la 7ème division blindée britannique avec l’appui de la 53ème division d’infanterie galloise est chargée de progresser vers la Belgique en prenant position sur le Canal d’Aire. 
Mémorial des Rats du Desert à Thetford (Royaume-Uni). Le char présenté est une réplique du Char « Little Audrey » du 1st Royal Tank Regiment, Squadron B, 22nd Armoured Brigade, 7th Armoured division. (Photo : Keith Evans)
Mémorial des Rats du Desert à Thetford (Royaume-Uni). Le char présenté est une réplique du Char « Little Audrey » du 1st Royal Tank Regiment, Squadron B, 22nd Armoured Brigade, 7th Armoured division. (Photo : Keith Evans)

  Les membres de la 7ème division blindée britannique portent le surnom de « rats du désert » en référence à la gerboise qu’ils portent comme insigne divisionnaire. Cette division est l’une des plus prestigieuses de l’armée britannique durant la Seconde guerre mondiale puisqu’elle a combattu sur la quasi-totalité des champs d’opérations du front occidental. Formée en 1938 en Egypte comme brigade mobile avant de devenir la 7ème division blindée, celle-ci va prendre une part active à la guerre du désert d’abord contre les forces italiennes auxquelles s’adjoignît ensuite l’Africa Korps du Maréchal Rommel. Au titre des nombreuses batailles auxquelles elle prit part figurent notamment les deux batailles d’El Alamein qui marquèrent un coup d’arrêt à l’expansion des forces de l’Axe en Afrique du Nord et qui donnèrent l’occasion au Premier Ministre britannique Winston Churchill de déclarer le 10 novembre 1942 : « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement ».

Insigne des rats du désert
Insigne des rats du désert
Chars de la 7ème Division Blindée débarquant le 7 juin
Chars de la 7ème Division Blindée débarquant le 7 juin

  Suite à ces victoires, les rats du désert prirent part à quelques batailles en Italie en 1943, notamment lors de la bataille de Salerne. Ils furent ensuite rappelés en Grande-Bretagne en vue de la préparation du débarquement de Normandie. Les 6 et 7 juin 1944, la 7ème division blindée britannique prend pied sur la terre de France dans le secteur de Gold Beach à Arromanches-les-Bains. Ils combattirent lors la bataille de Caen et les violents affrontements contre les divisions de Panzer-SS à Villers-Bocage. Le 21 août 1944, suite à la fermeture de la poche de Falaise, qui causera la perte de plus de 100 000 allemands en comptant les prisonniers, les blessés et les tués, la 7ème division blindée va faire mouvement vers le nord de la France avec pour objectif d’atteindre la Belgique et les Pays-Bas puis la Ruhr, cœur industriel de l’Allemagne. 

C’est ainsi, que début septembre 1944, la 7ème division britannique blindée franchit la Seine, puis la Somme et entre dans le Pas-de-Calais. 

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Les différents rapports font état de plusieurs unités déterminantes pour la libération de Béthune. 

Pour bien saisir les mouvements de troupes dans le département, il faut décomposer les éléments de la division qui nous intéresse. 

 La 7ème division britannique compte une brigade blindée (la 22ème Armoured Brigade) et une brigade d’infanterie (la 131st Infantery Brigade) auxquelles s’ajoutent d’autres unités divisionnaires comme celles du Royal Artillery ou encore du Royal Engineers. Ces brigades et autres unités se décomposent en régiments. 

 Ainsi, la 22ème Armoured Brigade compte 4 régiments blindés : le 1st Royal Tank Regiment, le 5th Royal Tank Regiment, le 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards et le 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade. 

La 131st Infantery Brigade compte quant à elle de 3 régiments d’infanterie : les 1/5, 1/6 et 1/7 Battalions du Queen’s Royal Regiment.

Enfin, un autre régiment joue un rôle particulièrement important dans la libération du Béthunois : il s’agit du régiment de cavalerie blindée du 11th Hussars (Prince Albert Own’s), chargé de la reconnaissance, il est rattaché directement à l’échelon divisionnaire et ne dépend donc pas de la brigade blindée. 

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Dès le 2 septembre au matin, les forces de la 7ème division blindée sont dans le sud du département et progressent sur un axe Frévent – Saint-Pol. Durant cette journée, les britanniques ne parviennent pas à atteindre Saint-Pol par le sud car la ville est solidement défendue notamment par un canon allemand sur l’axe de la nationale 16. 

A 14h, le 1st Royal Tank Regiment reçoit alors l’ordre de faire mouvement au-delà des lignes ennemies et de réaliser un coup de force pour atteindre le plus rapidement possible Cauchyàla Tour. Le régiment contourne donc Saint-Pol par l’ouest à 17h, passe par Tangry, Valhuon puis Pernes-en-Artois qu’il traverse vers 21h30. Les blindés atteignent le croissement de Cauchy-à-la-Tour entre 23h30 et minuit. Celui-ci est alors solidement défendu par le régiment. Cette avancée sera décisive pour la suite de la libération du secteur et vaudra au responsable de celle-ci, le Lieutenant-Colonel Patrick Hobart, l’attribution de la Distinguished Service Order. Des éléments du 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade rejoignent également cette position. 

Insigne de la 22nd Armoured Brigade
Patrick Hobart alors major-général en 1968
Patrick Hobart alors major-général en 1968

 Dans la nuit du 2 au 3 septembre, cette position se trouve derrière les lignes allemandes. Une poche de résistance ennemie se forme au niveau de Pernes et nécessitera le lendemain matin l’intervention d’une partie du 1st Royal Tank Regiment. Les soldats de la Wehrmacht tendront également à hauteur de Bours des embuscades aux convois anglais qui se rendaient à Cauchy durant la nuit. Ils détruisirent plusieurs véhicules, firent des prisonniers et tuèrent un chauffeur du Royal Signal Corps, Christopher Conroy, âgé de 31 ans qui sera enterré au cimetière de Bours. De même, Valhuon ne sera libéré que le 4 septembre au prix de plus d’une dizaine de morts britanniques, ce qui en fait l’une des plus dures batailles du département en terme de coût humain. 

 Le 3 septembre, le 1st Royal Tank Regiment, après avoir passé la nuit au carrefour de CauchyàlaTour, se réveilla à 5h30 et prît la direction de Burbure puis de Lillers avec pour objectif de sécuriser les berges du Canal d’Aire. 

 Pendant l’après-midi, des éléments du régiment nettoyèrent la zone entre Lillers et le canal. Dans le même temps, des combats sont livrés à Lillers. A 16h30, le 1st Royal Tank Regiment et le 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade quittent Lillers, ce qui conduira à une contreattaque allemande dans la soirée, pour sécuriser les ponts sur le canal à hauteur de Hinges (Pont d’Hingette et Pont d’Avelette). Au cours de ce mouvement, le Trooper John Charlesworth du 1st Royal Tank Régiment est tué à l’âge de 36 ans. Il repose au cimetière de Bours. 

A 17h, les unités britanniques arrivent à Locon et font route pour une partie d’entre elles vers le pont d’Estaires pendant qu’une autre engage l’ennemi au nord-est de Béthune. Le pont d’Estaires est atteint vers minuit mais le détachement, constatant sa destruction, rejoint pour la nuit le reste du régiment qui stationne dans le secteur des ponts d’Hinges.

Char Cromwell du 5th Inniskilling Dragoon Guards semblable à ceux positionnés le long du Canal à Cuinchy
Char Cromwell du 5th Inniskilling Dragoon Guards semblable à ceux positionnés le long du Canal à Cuinchy

  La même journée, le 3 septembre, alors que le Ternois connait encore des combats, une partie du 11ème Hussars fait rapidement mouvement du sud de Saint-Pol vers le Canal d’Aire au niveau de La Bassée en contournant Saint-Pol vers l’est en passant par Ternas – Bailleul-aux-Cornailles puis Magnicourt en Comté, Fresnicourt le Dolmen et Hersin jusqu’au secteur de Mazingarbe -Vermelles. Les escadrons A et B du 11ème Hussars repèrent les ponts du secteur entre Cuinchy et Wingles mais constatent que nombre d’entre eux sont soit détruits soit fortement tenus par l’ennemi comme celui de Billy-Berclau. Dans l’après-midi, une partie du 11ème Hussars se dirige au sud de Béthune sur la route de Noeux-les-Mines afin de couvrir la zone. Il se retire à Noyelles avant la nuit.

   Le 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards parti de SaintPol à 15h atteint Noyelles à 17h, puis tente de franchir le canal à Cuinchy sans succès. Le 3ème Régiment du Royal Horse Artillery est également mobilisé pour neutraliser les cibles de l’autre côté du canal. Il faudra l’intervention du Lieutenant Hugh Beach du 621ème Escadron de Campagne des Royal Engineers, détaché pour la journée auprès du 11ème Hussars, pour que la situation évolue. Lors d’une reconnaissance sur le pont, il y fût sévèrement blessé. Son extraction fût possible grâce à l’action du Lance-Sergeant Tynan et du conducteur Frederick Harris. Néanmoins, avant d’être évacué, le Lieutenant Beach réussit à transmettre les informations nécessaires aux chars pour prendre le pont dans la soirée. Cet acte de courage lui vaudra l’attribution de la Military Cross. 

La compagnie ‘A’ du 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade réussit alors à traverser avec succès le pont mais celui-ci s’effondre après le passage du dernier blindé de la colonne. En effet, l’ouvrage avait été partiellement détruit suite à un incendie provoqué par les forces allemandes peu avant l’arrivée des britanniques. 

Quelques instants après ce franchissement, les soldats de la Rifle Brigade John Arthur Carpenter et Laurie Errick Alan Diplock sont tués dans l’explosion de leur véhicule de reconnaissance suite au tir d’un canon de 75mm allemand situé à quelques centaines de mètres au nord du pont. Ils seront provisoirement enterrés dans une pature à proximité des  berges du canal.  

Le reste des troupes stationne pour la nuit à Noyelles-lès-Vermelles et Mazingarbe. Le 11ème Hussars établit son état-major régimentaire dans le Château Mercier de Mazingarbe, aujourd’hui mairie de la commune. 

Ainsi, au soir du 3 septembre, Béthune se trouve encerclé au nord-est par les éléments du 1st Royal Tank Regiment et du 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade et à l’ouest par les hommes du 11ème Hussars et du 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards renforcés par des régiments d’artillerie et d’infanterie. 

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Dans la nuit du 3 au 4 septembre, le régiment d’infanterie 1/6 Battalion Queen’s Royal Régiment fait mouvement vers Mazingarbe. Dans la journée, ce sera le 1/7 Battalion Queen’s Royal Regiment qui traversera Servins, Aix-Noulette et Grenay puis arrivera à Cambrin vers 19h.

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  Le matin du 4 septembre au matin, sur les ordres du Lieutenant-Colonel Hobart du 1st Royal Tank Régiment qui souhaite réaliser une attaque vers Festubert, les troupes britanniques attaquent Béthune par le Nord. La Ville est libérée à 11h par la compagnie ‘I’ du Lance-Sergeant Kenneth Charles Meyer du 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade. La veille, il avait déjà réussi à neutraliser une position allemande à Ferfay à l’aide des chenillettes de sa section, armées de mitrailleuses Browning. Il continua à combattre le reste de la journée au nord de Béthune dans le secteur d’Hinges. Pour ses actions, il reçut la Military Medal. Il sera tué aux Pays-Bas le 6 octobre 1944 à l’âge de 24 ans. 

Le 4 septembre à l’aube, le 11ème Hussars franchit enfin le canal à Cuinchy, puis c’est au tour du 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards vers 10h. Celui-ci va couper l’axe la Bassée – Estaires après avoir neutralisé depuis Violaine les 4 canons allemands tirant du Bois Fréteur à Lorgies.

Vers midi, des troupes de l’escadron C du 11th Hussars s’engagent au nord-est et sud-est de Béthune afin de protéger les canons de la division. Ils sont de retour au quartier général de l’escadron vers 13h30. 

En fin de journée, conformément aux ordres de mouvement de la 7eme division blindée, le 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards, le 1/6 Battalion Queen’s Royal Regiment et le 11ème Hussars font mouvement vers Lens puis Seclin. La frontière belge est passée à Toufflers vers 22h15 et le quartier général du régiment de Hussars arrive peu avant minuit à Rugge (Avelgem) en Belgique. Gand sera libéré le 6 septembre. 

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Le 5 septembre, le 1er Royal Tank Regiment est en maintenance au sud de Béthune pendant que le 1er bataillon motorisé de la Rifle Brigade se trouve dans le secteur de BéthuneMazingarbe. 

  C’est donc le lendemain de la libération de Béthune que les troupes de la 53ème division d’infanterie galloise viennent relever les 1/5 et 1/7 Bataillons du Queen’s Royal Regiment, après avoir combattu les dernières poches de résistances allemandes dans le Ternois, puis dans les bois entre Pernes et Béthune. Le 6th Bataillon du Royal Welch Fusiliers arrive vers 7h30 à Béthune et établit son quartier général dans des baraquements. 

Le même jour, le 71st Anti-Tank Regiment est stationné dans la pâture « Chevalier » à proximité du croisement de Vendin-lès-Béthune et d’Annezin. Le grenadier Robert Key trouve la mort dans un stupide accident de grenade. 

La libération de Béthune et ses environs, ici comme ailleurs, s’accompagne d’une cohorte de morts que la joie et la liesse ne pourront à jamais occulter. 

Par François ABOUADAOU